Pourquoi (ne pas) abandonner la thèse ?

Que faire quand la thèse se passe mal ?

L’abandon de thèse est une pensée qui effleure tous les chercheurs un jour ou l’autre. Ce peut être dû à une question de motivation ou de confiance en soi, mais ce n’est vraiment pas le facteur principal. 

Depuis quelque temps, votre vie de doctorant s’est couverte de nuages. La thèse s’est enlisée, vous ne voyez plus la direction à prendre, votre moral en prend un coup, vos relations s’en ressentent, votre directeur de thèse n’est pas présent, bref, vous constatez que vous traversez (enfin, justement, il est là le problème : vous avez le sentiment de ne pas traverser, mais de vous enfoncer) une période difficile. Tellement difficile que vous vous demandez – ou vos proches vous le suggèrent – s’il ne faudrait pas arrêter la thèse, arrêter les frais, vous mettre au vert et repartir vers un ailleurs.

Ne pas terminer sa thèse, c’est un peu comme vivre un deuil : ça laisse des traces. C’est douloureux. C’est injuste.

Personne ne s’engage dans un doctorat « juste pour voir » en tenant le discours serein qu’on peut entendre dans d’autres secteurs : « Pas grave si ça se passe mal, je démissionne et voilà. » L’abandon en doctorat est souvent l’ultime recours à une situation devenue insoutenable.

Aucun doctorant qui s’engage dans un doctorat n’envisage la possibilité de l’arrêter. Car le doctorat est une expérience de travail, certes, mais également et surtout une expérience très personnelle qui n’est comparable à aucune autre (à ma connaissance). Par bien des aspects, elle s’apparente à un rite de passage.

Voilà qui explique pourquoi la décision d’arrêter ou pas, de changer de cap ou pas, est particulièrement compliquée dans le cas d’un doctorat.

Je vais d’abord décrire le contexte général dans lequel s’inscrivent les abandons de thèse, les causes et les facteurs de risque, avant de proposer des éléments directement actionnables pour votre réflexion personnelle.

Le tabou de l’abandon de la thèse

La souffrance des doctorants ayant abandonné la thèse est extrêmement difficile. Arrêter de manière volontaire est cependant toujours déterminé par des éléments de contexte sur lesquels on peut (doit) agir.

Ces doctorants-là sont complètement invisibilisés. Le sujet est même tabou. 

Le taux d’abandon de thèse

Peut-être pensez-vous que les abandons de thèse sont rares, et cela ne fait que renforcer votre culpabilité et votre sentiment de « ne pas y arriver ».

Détrompez-vous : environ 50 % des doctorants ne termineront pas leur thèse. 1 doctorant sur 2 ne termine pas sa thèse !

J’en ai vu personnellement, et plusieurs, de ces cas « isolés » qui concernent 1 doctorant sur 2 :

  • celui qui est parti, cassé par le harcèlement de son directeur de thèse ;
  • celui qui est parti, frappé d’épuisement professionnel ;
  • celui qui est parti silencieusement après ses 3 ou 4 ans de bourse, sans défendre sa thèse ;
  • celui qui est parti après des années de recherche et d’écriture d’articles pour ses supérieurs, sans avoir eu le temps de rédiger sa propre thèse ;
  • celui qui est parti sans qu’on ait eu le temps de le connaître ;
  • celui qui est parti car son directeur de thèse n’a commencé à lire ses écrits qu’en 4e année ;
  • celle dont le contrat n’a pas été renouvelé car elle a eu un enfant.

Ils disparaissent du jour au lendemain sans laisser de traces. Et personne ne parle d’eux.

Les causes de l’abandon de doctorat

Quelles sont les causes de cet énorme taux d’abandon ? J’en ai répertorié quelques-unes, qui peuvent s’accumuler.

  • Le manque de financement : le doctorant doit alors travailler, la combinaison doctorat-travail ne fait pas bon ménage ; la thèse s’éternise et la probabilité de la terminer diminue avec le temps.
  • La durée d’une thèse : le doctorant engagé par l’université pour enseigner à mi-temps et faire de la recherche à mi-temps augmente de facto la durée de sa thèse. C’est plus risqué qu’une bourse car il y a risque de se voir dépassé par des tâches d’enseignement, plus urgentes que celles de la recherche.
  • La relation entre le promoteur et le doctorant : trop fusionnelle, trop distante ou dysfonctionnelle. Nous avons tous, malheureusement, des exemples qui nous viennent immédiatement à l’esprit.
  • La vision idéaliste du doctorat et la confrontation à la (dure) réalité : la non-maîtrise des non-dits, des codes, des attentes tacites de l’université, le manque d’encadrement, etc.
  • La pression, la compétition et les rythmes insoutenables de la carrière académique.
  • Les atteintes à la santé mentale : harcèlement, dépression, discrimination, humiliation, perte d’estime de soi… Tout doctorant y est confronté à un moment ou un autre.
  • La motivation personnelle : une motivation intrinsèque (passion pour la thèse en elle-même) est en général plus forte qu’une motivation extrinsèque (le diplôme, le prestige, l’aboutissement) et donne plus d’énergie pour supporter des aspects moins faciles du parcours.

Les facteurs de risque de l'abandon de doctorat

Les facteurs de risque, issus de la recherche, sont à prendre en considération dès l’entrée en doctorat. Un doctorant averti en vaut deux !

Extrait de « 4 doctorants sur 10 ne défendent pas leur thèse » : l’étude est belge mais facilement transposable.

  • Le financement du doctorat : les doctorants disposant d’une bourse ont davantage tendance à boucler leur thèse.
  • La vie de famille : le doctorant en couple est davantage persévérant.
  • L’âge : les chercheurs qui entament une thèse avant l’âge de 26 ans présentent moins de risques d’abandon.
  • Le grade en fin de master : au plus bas est ce grade, au plus le risque d’abandon augmente.
  • La nationalité : les « Belges » bouclent davantage leur doctorat que les Européens, qui se classent eux mieux que les étudiants étrangers non européens.

Pour ma part, je n’avais qu’un facteur de risque (financement mi-temps enseignement, mi-temps recherche) : cependant, il s’agissait d’un risque délibérément choisi car je ne souhaitais pas faire de la recherche à temps plein, il me fallait de la variété.

Les conséquences systémiques d’un abandon de thèse

Connaissez-vous une entreprise où 1 nouvelle recrue qualifiée sur 2 abandonne son job ? Moi, une seule, elle s’appelle l’université.

Que font les actionnaires d’une entreprise quand ils ont vent d’un turnover aussi spectaculaire ? Ils virent le CEO et mettent quelqu’un d’autre à la place.

Que font les dirigeants d’université pour que tous les doctorants entrants terminent leur thèse ?

Rien.

Littéralement, rien.

Bien sûr, si on cherche, on trouve des personnes au sein de l’université à même d’épauler des doctorants en difficulté. Mais il faut chercher, et quand on n’est déjà pas « au top », ce n’est pas la première idée qui nous vient à l’esprit. 

Les actions mises en place par le système académique pour contrer le problème sont inversement proportionnelles à l’énormité du chiffre. Encore moins que les rares initiatives visant à insérer les docteurs sur le marché de l’emploi.

Pourtant, le problème est réel et il est multiple. Imaginons les 3 scénarios classiques de travail d’un doctorant :

  • il est engagé par l’université comme assistant de recherche et d’enseignement. Si le doctorant ne termine pas sa thèse, cela signifie que le salaire payé a uniquement servi pour environ la moitié de son temps de travail (celle dévolue à l’enseignement). Car, bien entendu, les recherches réalisées par le doctorant avant d’abandonner ne sont réutilisées sous aucune forme ni transmises à personne ;
  • il est doctorant sur fonds propres. Personne ne le paie. S’il abandonne, non seulement les résultats de sa recherche disparaissent dans le néant, mais en plus, il n’a pas travaillé et reçu de salaire (coût énorme pour lui-même et pour la collectivité) ;
  • il est doctorant boursier. Il est payé par une bourse octroyée sur concours. S’il abandonne, les résultats de sa recherche disparaissent dans le néant et le montant de la bourse, payée par la collectivité, est perdu.

Sans compter la souffrance psychologique causée par l’abandon du doctorat en lui-même, et celle causée par les éléments de contexte qui ont mené à cet abandon.

La perte pour l’université est multiple, ce qui devrait la convaincre de s’intéresser de plus près au sort des doctorants en grande difficulté :

  • perte des résultats de recherche du doctorant ;
  • perte des revenus attachés au doctorant (l’université reçoit des subsides pour chaque thèse défendue) ;
  • perte des bourses attachées au doctorant ;
  • perte de publications scientifiques ;
  • perte de ranking pour l’université ;
  • perte de ranking pour le pays.

Ce n’est pas toujours vécu par les doctorants comme un drame. Certains se rendent compte qu’ils n’aiment pas la recherche. D’autres se rendent compte qu’il s’agit plutôt du projet de leur directeur de thèse pour eux, plutôt qu’un projet approprié personnellement.

C’est plutôt l’université qui le voit comme un drame et met l’affaire sous le tapis ; de la même manière, les docteurs qui quittent l’université (c’est-à-dire 80 % d’entre eux au moins) sont vus comme des « outsiders ». Ce qui est en dehors de l’université est suspect.

Les solutions à l’abandon de thèse

J’en entrevois trois : une personnelle, une structurelle et une professionnelle.

La solution personnelle est de travailler sa motivation. Faire une thèse pour une autre raison que pour la thèse en elle-même, c’est jouer sur un terrain plus propice à se casser les dents.

La solution structurelle viendrait de l’université : former les directeurs de thèse à l’encadrement, réaliser des co-tutelles pour éviter l’emprise éventuelle d’un seul encadrant ; soigner particulièrement l’accueil et le suivi des doctorants.

La solution professionnelle est, pour moi, la solution miracle. Il s’agit de considérer le doctorat, dès le jour 1, dans une perspective professionnelle valorisable pour l’après (que cet après soit la carrière universitaire ou non). Cette solution est implémentable directement par le doctorant sans attendre des changements structurels. Ces conseils pour un voyage doctoral plus serein peuvent aussi vous aider.

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